Du 7 juin au 7 septembre
Aux Moyens du Bord (Manufacture des Tabacs – Morlaix)
Vernissage le 7 juin à 18h
« Je me souviens dans une existence perdue avant de naitre dans ce monde-ci avoir pleuré fibre à fibre sur des cadavres dont les os poussière à poussière se résorbaient dans le néant. Ai-je connu leur anatomie ? Non, j’ai connu l’être en lambeau de leurs âmes dans chaque petit os de poussière qui gagnait les ténèbres premières et de chaque petit os de poussière j’ai eu l’idée dans la musique sanglotante de l’âme de rassembler un nouveau corps humain. » Antonin Artaud, OC 1037
« Chaque petit os de poussière » interroge les zones d’accumulation de la mémoire personnelle et collective. Les peintures de Patricia Erbelding, espaces quasi-topographiques, se construisent sur l’utilisation du fer oxydé et de la cire d’abeille, suggérant une série de connotations organiques : la rouille, la terre, la décomposition. Elles dialoguent avec des travaux de collages anatomiques, intégrant une forme de stratification de l’iconographie des corps, un processus de concentration de la mémoire culturelle collective. Ce travail de la transformation et de la métamorphose appelle une dimension épidermique, cicatricielle.
En parallèle, Julie Ramage retrace la vie de Pierre Judéaux, fils d’agriculteurs, né en 1931 dans les environs de Rennes. Issu d’un milieu rural, vivant dans la ferme de ses parents et à quelques kilomètres de la ferme de sa sœur mariée, il restera célibataire jusqu’à sa mort, en 2011. Il laisse derrière lui la maison occupée par sa famille depuis 1945, un espace étrange et paradoxal, dans lequel des strates d’objets et de documents ont été déposés année après année, sans que la génération suivante n’en modifie jamais l’emplacement. Soixante-neuf ans d’archives et d’artefacts qui témoignent de l’impact de la guerre sur le monde agricole, de sa lente reconstruction après l’armistice, puis de son déclin progressif dans le monde moderne ; soixante-neuf ans d’une stratification progressive de la mémoire familiale, consacrant cet espace comme un non-lieu, une zone immobile d’accumulation et de conservation. Le recours à la technique du collodion humide, procédé photographique mis au point en 1851, fait écho à son utilisation dans le domaine médical : l’émulsion utilisée est un puissant cicatrisant, mais aussi et surtout, elle servait au XIXe siècle à embaumer les morts.
Ces problématiques communes ont amené Patricia Erbelding et Julie Ramage à collaborer autour d’un protocole expérimental : associant à un travail d’ordre sociologique une forme de pratique de l’intime, Julie Ramage s’est soumise à une série de séances d’hypnose. Les textes qui en résultent témoignent d’une forme de mémoire intergénérationnelle restée inexpliquée. Hypnose, livre d’artiste réalisé par Patricia Erbelding autour de ce matériau, se présente comme un espace à la fois clinique et organique, une « boite noire » emplie de fragments d’une intimité familiale. La guerre, la mère, la tristesse, le chemin : autant de réminiscences qui nous concernent tous.
- Patricia Erbelding est née et travaille à Paris, où elle fera ses premières expositions personnelles à la Galerie du Haut Pavé au début des années 90. Elle participe depuis à de nombreuses expositions individuelles et collectives dans le monde entier et plus particulièrement aux Etats-Unis, et collabore régulièrement avec des écrivains et des poètes pour l’édition de livres d’artistes. Son travail plastique, bien que centré sur la peinture, intègre aussi la photographie et la sculpture. Il s’agit d’une peinture en mutation, attachée à l’expression d’une réflexion qui, sans jamais dévoiler ses secrets, amène au développement d’un langage intime se jouant de paradoxes et d’antithèses. Monographie “L’Etat des Métamorphoses“, avec Tita Reut, Editions Art InProgress.
- Julie Ramage est née et travaille en région parisienne. Formée au Center for Alternative Photography de New York, elle travaille sur l’application des techniques anciennes de photographie aux problématiques sociales et politiques contemporaines, en explorant les codes de représentation qu’une communauté peut imposer à ses marges. Ce questionnement de l’identité visuelle se situe au croisement de la mémoire personnelle, de la mémoire collective, du territoire, et des groupes sociaux. Depuis 2010, son travail a fait l’objet d’expositions individuelles et collectives en France (Paris, Toulouse, Le Mans), aux Etats-Unis (Northampton), et en Argentine (Buenos Aires).